Il faut revoir le financement du programme des boîtes bleues

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En adoptant la Loi sur le Réacheminement des déchets de 2002, le gouvernement ontarien voulait entre autres réglementer le financement provenant de l’industrie et s’assurer de capitaux suffisants pour son fameux programme des boîtes bleues. L’entente, un cas typique de compromis politique, consistait en un partage égal de la responsabilité financière du programme des boîtes bleues entre les administrations industrielles et municipales.

On espérait ainsi accroître l’efficacité du programme, y compris un taux de réacheminement de 60 % et une réduction du volume d’imprimés et d’emballages consommés par la population ontarienne.

À l’époque, le ministère de l’Environnement a prétendu que ce mode de financement par le secteur industriel inciterait les fabricants à utiliser moins d’emballage et de matières recyclables. Cette méthode devait également contribuer à diminuer les frais, a fortiori si les emballages se recyclent facilement, et à réduire considérablement l’usage de matières non recyclables. [1]

Dix ans plus tard, nous avons gagné en expérience et modifié plusieurs paramètres fondamentaux du programme des boîtes bleues. Ne dit-on pas que la nécessité est mère de l’invention?

Pour commencer, il faut admettre que l’actuel partage des coûts ne correspond pas à la définition exacte des programmes de responsabilité élargie des producteurs (REP), car seuls les aspects financiers sont pris en compte. Les véritables programmes de REP font appel aux fabricants, et non seulement aux municipalités, pour les aspects de gestion[2]. Advenant que le programme des boîtes bleues soit financé à 100 % par l’industrie, comme le souhaitent certaines municipalités, il devrait alors être géré à 100 % par l’industrie. Actuellement, en Ontario, l’industrie contribue financièrement aux programmes d’intendance environnementale, mais n’a droit de regard ni sur les types de matières collectées ni sur les processus de collecte et de recyclage. Il serait donc souhaitable d’établir un nouveau plan financier et opérationnel encadré par les autorités provinciales, mais qui fasse appel aux responsables de la gérance de l’industrie, car après tout, c’est l’industrie qui paye la part du lion[3].

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Si les responsables de la gérance de l’industrie étaient pleinement responsables du financement et des activités du programme, ils seraient en meilleure posture pour réduire le coût net du programme, qui a gonflé de près de 70 % depuis 2003[4]. À l’heure actuelle, nous avons une idée assez précise des coûts engendrés par la collecte et le traitement des matières recyclables

Il n’y a pas à dire, la méthode fondée sur le poids est inéquitable et dépassée[5]. Si l’on ne considère que le paramètre de poids, le volume des matières actuellement consommées par les foyers ontariens serait légèrement inférieur au volume consommé en 2003. Du côté des imprimés, cela s’explique par le fait que les journaux en format papier cèdent peu à peu le pas aux formats électroniques et que les annuaires téléphoniques imprimés sont en train de disparaître. Du côté des emballages, les contenants lourds en verre ou en acier ont été remplacés par des contenants légers en plastique. Ainsi, dans l’intervalle, le volume de plastique a connu une augmentation phénoménale de 22 %[6].

On se surprend également du taux de recyclage très inégal selon les matières produites. Les imprimés, les emballages de carton ondulé et les bouteilles de verre présentent le taux de réacheminement le plus élevé, soit entre 85 % et 96 %, alors que les emballages de plastique font figure de mauvais élève : 73 % du volume de plastique produit se retrouve au dépotoir. Le plastique est aussi la matière la plus coûteuse à recycler[7].

La plupart des grands centres urbains ont adopté le mode de collecte unique. Les matières sont donc mises ensemble dans les bacs de recyclage, puis triées une fois rendues aux installations de tri et de recyclage (ITR). La collecte unique contribue à la dégradation de la qualité des matières et entraîne des pertes de revenu. Le coût du recyclage par matière a bondi de 30 % par rapport au coût net de l’ancien mode de collecte sélective, qui comportait deux flux de matières. Autre

Il y a quelques années, c’était le vieux papier journal (VPJ) qui occupait la plus grande place dans les boîtes bleues. Le VPJ de qualité supérieure (no 8), ramassé à part, occupait un seul convoyeur de l’ITR et on facturait le tri aux producteurs des autres matières (on pourrait employer ici le terme de « tri positif »). Désormais, avec le déclin des ventes d’imprimés, l’adoption massive de la collecte unique et l’augmentation constante de la production d’emballages de carton ondulé et de carton plat (sans parler des récipients en plastique PTE thermoformés), il devient de plus en plus difficile pour les ITR d’endiguer la présence de contaminants et de répondre aux exigences de qualité du VPJ no 8. De nombreuses ITR ne s’occupent plus du précieux papier; elles ont accepté d’en subir les coûts. Par exemple, les contrats de réacheminement des administrations municipales de Toronto et de Durham ne prévoient plus les modalités de gestion du VPJ no 8.

Cette nouvelle réalité et la réaction des ITR constituent deux raisons impérieuses qui forcent la révision de la méthode de financement actuelle. Pour l’heure, les coûts afférents aux imprimés et aux emballages sont traités séparément, comme s’ils se trouvaient dans deux « silos ». Il faut considérer l’interfinancement entre les matières du « silo des emballages », réalisé dans le but de maintenir l’approche « panier de biens et services »[8]. Le problème reste toutefois entier, puisque le « panier » a connu des modifications majeures. D’où la question suivante : « Dans le contexte actuel où le système de collecte unique prévaut, comment répartir les coûts en prenant en compte le “panier” d’avant les modifications? »

In summary, what we have in Ontario is an increasingly expensive Blue Box system over which stewards have little control; major changes in Blue Box composition (less paper and more, and lighter plastics); and greater overall contamination with resulting lower revenues. We also have a funding formula that allows cross-subsidisation within the individual silos of packaging and printed paper but not between them (even though all Blue Box materials are now mostly collected and processed in virtually the same way: single stream).

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Voici donc notre suggestion, qui embrasse les changements récents survenus sur les plans financier et opérationnel. En effet, pourquoi ne pas adopter une méthode de financement qui ne ferait pas de distinction entre les matières, qui ne les mettrait pas en concurrence et qui permettrait de répartir équitablement les coûts et de refléter les réelles activités de recyclage? Nous suggérons donc une méthode fondée sur le coût unitaire. Le temps et l’énergie nécessaires à la gestion de chaque matière à l’ITR sont des données facilement mesurables. Les industriels mesurent déjà leurs ventes à l’unité, ou par millier d’unités. De nombreux écocentres canadiens fonctionnent aussi de cette façon, en fixant les prix à l’unité et non au poids. Pourquoi donc ne pas répartir tous les coûts du programme des boîtes bleues sur une base unitaire? Il est inutile de convertir les chiffres de ventes en poids, surtout pour aboutir à une méthode de financement aussi compliquée et aussi dépassée, alors que la méthode unitaire est si simple et si efficace.

Nous recommandons vivement à l’organisme d’intendance environnementale Canadian Stewardship Services Alliance, responsable du programme des boîtes bleues de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan, du Manitoba et de l’Ontario, et à l’organisme Éco Entreprises Québec, qui finance le programme québécois, à considérer sérieusement cette proposition. Un changement de cap s’impose.

 


 

 

 

 

[1] Ministère de l’Environnement de l’Ontario, Réacheminer 60 pour cent des déchets en Ontario : document de consultation, 11 juin 2004, p. 35. Le CEEPC a souvent remis en doute la validité de ces affirmations. Il y a un fossé entre la façon dont est censé fonctionner le financement et la façon dont il fonctionne en réalité. Par exemple, le CEEPC a démontré que dans de nombreux cas, le fait de ne prévoir aucun réacheminement en coûtait moins aux responsables de la gérance qu’un réacheminement à hauteur de 60 %, car la structure des redevances est étroitement liée aux coûts nets de gestion des matières prises séparément. En général, plus le volume de matières à gérer croît, plus les coûts sont élevés, et les redevances de même.

[2] « [Les REP] obligeront les producteurs à être financièrement ou physiquement responsables de leurs emballages à la fin de leur vie utile, délestant ainsi les municipalités de cette responsabilité. » Stratégie pancanadienne pour l’emballage écologique, Conseil canadien des ministres de l’Environnement (CCME), octobre 2009, p. 1.

[3] Voir le blog du 20 décembre 2013 publié par le CEEPC (« Il y a un éléphant dans la pièce » [http://www.ppec-paper.com/il-y-a-un-elephant-dans-la-piece/?lang=fr])

[4] En 2003, le programme des boîtes bleues a coûté 117,5 millions de dollars. En 2012, la dernière année pour laquelle les données sont disponibles, le coût net s’élevait à 198 millions de dollars (source : Comparison of Stewardship Ontario, Table 2: Gross and Net Costs for 2003 and 2012)..

[5]  Déjà en 2004, l’organisme Réacheminement des déchets Ontario donnait cet avis au ministère : « Étant donné que les redevances payées par les responsables de la gérance sont en grande partie liées au coût de gestion de chaque matière collectée, nous voyons un risque potentiel d’iniquité des redevances. Les secteurs qui produisent des matières dont le taux de récupération est le plus bas ne contribuent pas une juste part au système. […] Dans la méthode fondée sur le poids, les matières ayant le plus haut taux de récupération se voient imputer les coûts les plus élevés. » (« WDO response to the minister », 60% Diversion of Blue Box Waste, Material Specific Targets, Municipal Benchmarks, 30 avril 2004, sections 5.2.2 et 5.1.2.) Voir aussi la première note ci-dessus.

[6] Données de l’organisme Intendance environnementale Ontario pour 2003 et 2012 (tableaux 1 et 2).

[7] Données de 2012 de l’organisme Intendance environnementale Ontario sur le programme des boîtes bleues.

[8] Cette approche a été adoptée par Intendance environnementale Ontario pour préserver le droit des industriels de choisir la ou les matières de leurs emballages. La méthode actuelle de financement constitue une tentative (peu probante, selon nous) de refléter la disparité des coûts de recyclage des matières.

John Mullinder

Executive Director Paper & Paperboard Packaging Environmental Council (PPEC)
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